Travail social au Sénégal: du 27/09 au 08/11/2013

Le 27 septembre 2013, j’atterris au Sénégal, premier pays en terre africaine et 23ème Etats traversés de ce tour du monde. Lors des premiers jours, je contacte plusieurs organismes du domaine de la protection de l’enfance afin de leur présenter le projet que je souhaite mener au cours de mes six prochaines semaines de présence au sein de la capitale dakaroise.

Mercredi 9 octobre 2013, conformément à nos engagements, je débute mes 4 semaines d’immersion au sein de notre dernière structure partenaire à l’étranger : le Samu Social Sénégal. Mes premiers échanges avec le directeur des opérations me permettent de me familiariser avec le public accompagné à savoir les enfants des rues.

  • Les enfants des rues à Dakar :

10 000 enfants des rues sont recensés à Dakar. En rupture avec leur famille et la société qui les entoure, ces mineurs sont complètement exclus des structures sociales et sanitaires traditionnelles. Sans abris, ces jeunes victimes se regroupent généralement en bandes, se livrent à diverses activités (petits boulots, mendicité…) et adoptent certains comportements inadaptés tels que la consommation de diluant ou le vol. A ne pas confondre avec les « talibés » qui sont des étudiants présents au sein d’une école coranique, une majorité des jeunes de la rue a malgré tout fui les daaras (école coranique) en raison des maltraitances ou de la mendicité forcée. Cette problématique sociale, particulièrement prégnante à Dakar, est donc extrêmement sensible en raison notamment de son caractère religieux. 

  • Première étape de l’action du Samu social : les maraudes ou travail de rue

Tous les jours, accompagné d’un travailleur social, d’un médecin et d’un chauffeur-animateur, nous parcourons en ambulance les sites identifiés par les professionnels et connus pour abriter ces jeunes de la rue. Les objectifs sont de traiter l’urgence sociale ou sanitaire, identifier les nouveaux venus, apporter un appui nutritionnel mais aussi créer du lien avec ce public par des "causeries", des entretiens qui permettront à terme de créer un climat de confiance propice à l’émergence d’un projet de sortie de rue. Ce travail plus connu sous le nom de « maraude » est le premier maillon de la chaine mis en place par le Samu social vers la voie de la réinsertion.

La précarité de la situation de ces jeunes dans la rue est particulièrement marquante. Certains sont pieds nus, portant des vêtements sales voire déchirés et dorment sur des cartons ou à même le sol sur les trottoirs ou sous les tables des marchés. La consommation très répandue du « guinz » (tissu imbibé de diluant cellulosique, normalement utilisé pour la peinture, qu’ils se procurent dans les quincailleries et portent à leur bouche pour se shooter) marque toute la détresse engendrée par ce quotidien dangereux dans la rue. Seule structure à Dakar qui exercent des maraudes de manière biquotidienne (jour et nuit), les mineurs reconnaissent parfaitement l’ambulance et les professionnels du Samu social. Mon intégration dans cet environnement s’effectue rapidement. Ma présence attire parfois même l’attention de certains jeunes désireux de s’exprimer en français ou tester mes connaissances en wolof. Ces temps me permettent de créer du lien avec ce public, aider au service des boissons ou nutriments, recenser le nombre d’enfants identifiés, verbaliser mes observations aux équipes ou écrire les synthèses de maraudes qui seront ensuite reprises lors de la réunion hebdomadaire.  

  • Espace transit : le Centre d’Hébergement d’Urgence avec Soins Infirmiers et Psychologiques

Deuxième temps du travail avec ces jeunes, le centre d’hébergement d’urgence, d’une capacité de 25 places, accueille ceux qui ont émis le désir de quitter la rue. Certains d’entre eux sont également hébergés pour une période précise de ressourcement en réponse à l’urgence sanitaire ou sociale de leur situation. Encadré par des animateurs présents 24h/24h, le centre constitue un véritable espace transit entre la rue et un retour en famille ou une orientation en institution accueillant des jeunes à long terme.

Bien que mon intervention soit basée essentiellement sur le travail de rue, je consacre également une partie de mon emploi du temps au centre d’hébergement afin de partager certaines activités, des temps de vie quotidienne ou des repas de fêtes avec les jeunes (Aïd el Kébir - Tabaski). Cela me permet de comprendre un peu plus leur mode de fonctionnement mais aussi apporter toute mon attention durant une temporalité bien précise à ces enfants en souffrance. Les discussions avec le psychologue de l’équipe ou ma présence lors des thérapies collectives avec les jeunes me seront riches d’enseignements que ce soit sur la connaissance de ce public et la pédagogie à adopter.

  • Orientation et retour en famille :

Dernier chainon de la prise en charge, l’orientation et le retour en famille est effectué plusieurs mois après le premier contact avec le jeune dans la rue. Durant tout le temps de la prise en charge au centre, un travailleur social réalise des entretiens avec ce dernier et entame des démarches de médiations familiales afin d’aboutir à un retour de l’enfant à son domicile. Si la famille est dans l’incapacité d’apporter les conditions nécessaires au bon développement du mineur, celui-ci est peut être orienté vers une structure partenaire du Samu sociale susceptible de l’accueillir à long terme avec un accompagnement à la scolarité ou à la formation professionnelle. Accompagné par le chauffeur-animateur, le travailleur social se déplace en région ou dans les pays limitrophes selon le domicile familial du mineur.

Ayant pu participer à ce travail, j’ai mesuré toute la complexité de ces pratiques dans un contexte culturel bien différent de l’Europe. L’impossibilité parfois de contacter la famille car elle ne possède pas de lignes téléphoniques, la nécessité de prendre en compte la famille élargie face à la pratique répandue du « confiage », la recherche d’un endroit propice au dialogue dans des demeures susceptibles d’héberger une grand nombre de personnes ou encore les très grandes distances parcourues par les professionnels en raison d’un manque de partenaires, sont autant de paramètres qu’il est nécessaire de prendre en considération. Sens de l’observation, écoute, maitrise de soi et de ses émotions face à des situations particulièrement délicates sont les qualités premières dont doit faire preuve le travailleur social dans ce type de taches qui lui incombent.

Exemple illustratif :

Mardi 29 octobre, nous partons à Mbour (sud de Dakar) pour effectuer le retour en famille d’Abdoulaye. Après 4 mois de vie dans la rue, il a intégré le centre il y a 8 semaines. Le travailleur social n’a jamais pu contacter la famille par téléphone. Une fois arrivé dans cette ville, une certaine angoisse envahit le jeune qui n’a pas vu sa famille depuis des mois. Il nous indique le chemin nous menant à son domicile familial, très observateur de l’environnement qu’il découvre à nouveau. Nous entrons dans la cour familiale et nous approchons de la dame qui s’avance vers nous. A la vue d’Abdoulaye, elle se met à pleurer durant de longues minutes nous expliquant qu’elle pensait que son fils était mort. En effet, suites à ses recherches à la police durant plusieurs mois et consciente du danger que courre un jeune seul et isolé dans ce pays, elle avait abandonné tout espoir de le revoir un jour vivant. Une longue discussion débute avec cette maman sous le choc et l’enfant également très touché. Nous reprenons l’histoire familiale, leurs conditions de vie, les relations entretenues entre eux et l’avenir de cet adolescent. Au terme de ces échanges, nous décidons de laisser le jeune au sein de sa famille avec un projet clairement établi. Dans plusieurs semaines, l’équipe reviendra faire un suivi et contrôler la bonne avancée de ce qu’il a été convenu. 

  • Mon travail avec d’autres acteurs traitant de la question des enfants des rues :

Le 24 octobre 2013, à l’initiative du Samu social, je participe à un atelier de partage et de réflexion regroupant un ensemble de professionnels du domaine privé ou étatique : directeur générale de l’action sociale, représentant de l’UNICEF, conseiller à la Présidence de la République Sénégalaise, diplomate de l’Union Européenne, directeurs d’hôpitaux, acteurs associatif, travailleurs sociaux… Tous à leur niveau traitent de la question des jeunes de la rue. Cette journée me donne la possibilité de rencontrer des acteurs incontournables sur cette thématique, connaitre un peu plus le dispositif de protection mis en place au Sénégal à l’égard de ce groupe vulnérable et enfin observer les synergies entre tous ces organismes.

Tout au long de mes six semaines de présence à Dakar, j’ai également visité des structures, rencontré et interviewé des professionnels qui traitent de ces questions sensibles au quotidien. J’ai ainsi pu recueillir la voix de l’Ecole Nationale des Travailleurs Sociaux Spécialisés, la Direction Générale de l’Action Sociale, l’UNESCO, la Cellule d’Appui à la Protection de l’Enfance de la Présidence de la République Sénégalaise, l’ONG Village Pilote et SPER.

  • Un reportage vidéo

Grace à la parole des équipes éducatives du Samu social, celles de différents organismes publics ou privés mais aussi des images tournées au centre d’hébergement ou dans les rues de Dakar, un documentaire vidéo synthèse de ces sept semaines de travail sera disponible au premier trimestre 2014.

 

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